La discussion ne fait que commencer…
Certains aimeraient que la discussion soit finie et que la votation du 5 juin sonne le glas du RBI en Suisse. Ils oublient, ou feignent d’oublier, que 23% de votes positifs pour une initiative qui a été lancée par des citoyens est un très bon résultat, alors que seuls les Verts et quelques sections du PS ont décidé de la soutenir dans la dernière ligne droite!

23%, c’est autant que le salaire minimum qui avait été lui porté il y a deux ans par l’ensemble du PS et par les syndicats! Un Suisse sur quatre a été prêt à soutenir le RBi, à accepter l’idée qu’en 2016 le rapport entre activité et revenu n’est plus une évidence et qu’il faut penser autrement la sécurité sociale du XXIème siècle. C’est un résultat d’autant plus impressionnant que la plupart des Suisses n’ont découvert l’idée du RBI qu’au cours des 3 derniers mois…

Donc oui, le débat continue. Car pour qu’une discussion comme celle qui a été lancée sur le RBi en Suisse s’arrête, il faudrait arrêter le cours de l’histoire, rétablir de force le plein-emploi, cryogéniser tous les militants dont la fibre citoyenne et politique s’est éveillée au cours de cette campagne et laver le cerveau de tous ceux qui ont encore envie d’y réfléchir. Il faudrait aussi décider que les discussions qui concernent l’avenir de notre société sont réservées uniquement aux appareils politiques et à notre parlement, pour qui majoritairement “Tout va bien”.

Qui a soutenu le RBI?
Les personnes de plus de 65 ans sont celles qui ont rejeté le plus massivement le RBI… C’est finalement rassurant, car il y a fort à parier que leur vision du marché de l’emploi ne coïncide pas avec la réalité actuelle et reste emprunte du doux parfum des 30 glorieuses, où on entrait dans une entreprise comme dans un mariage : pour la vie. Les jeunes entre 35 et 49 ans sont ceux qui ont le plus soutenu le RBI et 59% des moins de 35 ans pensent qu’ils verront un revenu de base au cours de leur existence (sondage Demoscope). Ils font partie de ces générations qui ont fait connaissance avec les activités multiples, les stages à répétition, la création d’activités indépendantes sans filet et la précarisation de leurs conditions de vie par rapport à la génération de leurs parents. 45% des chômeurs ont même plébiscité le RBI. Les cantons et les villes obtenant d’ailleurs les meilleurs résultats sont aussi ceux où le taux de chômage est le plus important.

23% de OUI, est-ce la victoire du NON?

Penser que c’est la victoire définitive du NON serait très réducteur. C’est ce qu’on est tenté de penser en restant dans une logique binaire où le OUI et le NON sont hermétiques l’un à l’autre. Parmi les militants, nombreux sont ceux qui ont été déçus par le résultat, par cette claque, comme l’ont même dit certains. Et j’en ai aussi fait partie. Les premiers chiffres ont eu un goût amer. Hier. Nous espérions pouvoir gagner la première fois, nous souhaitions au moins passer le cap des 30%. C’est sans doute là que résidait notre idéalisme, beaucoup plus que dans le fait de soutenir le RBI. Nous avons pensé en terme de OUI et de NON, comme le font aujourd’hui les opposants au RBi pour tenter de clore le débat et de se rassurer. Entre le OUI et le NON, il y a tout le chemin de la transformation sociale qui prend du temps, même si la première pierre est posée et bien posée.

En Suisse Romande nous avons eu l’idéalisme de penser pouvoir gagner. Mes pronostics personnels oscillaient entre 25% et 5o%. Je suis novice en politique, comme beaucoup des militants qui ont soutenu cette initiative. Aujourd’hui, je découvre le temps long, j’apprends la patience. J’apprends que la flamme ne s’éteint pas avec 23% de OUI, bien au contraire. Un peu plus de pragmatisme nous aurait sans doute évité de la déception, mais il nous aurait sûrement aussi fait ne pas nous engager autant! Nous avons porté avec coeur un projet de changement de société. Nous continuerons avec coeur à le porter, à informer et à débattre.

Au lendemain de cette votation, je sais de plus en plus clairement en quoi nous avons gagné cette première bataille et pourquoi la discussion que nous avons lancée ne fait que commencer. Nous avons gagné parce que maintenant que le revenu de base est entré dans la discussion publique, il va continuer d’être porté par les 570’000 personnes qui ont voté OUI et de cheminer comme une possibilité pour simplifier et adapter notre système de protection sociale aux besoins des personnes vivant et travaillant en Suisse. Nous avons gagné, parce la discussion suisse a été suivie avec passion depuis l’étranger. Nous avons gagné parce que le sujet est devenu un banal sujet de discussion et que l’on peut assumer de faire son coming-out pro RBI, même si ça reste encore un peu dur chez les PLR (on me racontait hier encore l’histoire d’une PLR qui avait voté OUI sans toutefois oser le dire à ses colistiers…). Nous avons gagné parce que même les citoyens ayant voté NON et interrogés à la sortie des urnes souhaitent que le débat continue et que des expérimentations soient lancées. Les discussions à venir sur l’avenir de la protection sociale ne seront plus jamais les mêmes et l’idée du revenu de base ne pourra que continuer de grandir.

Nous avons pu voir qu’au cours des trois derniers mois, le sujet a déchainé les passions, comme rarement votation l’a fait, en Suisse et dans le monde, éclipsant même les autres objets de votation. Les réseaux sociaux ont été hyperactifs. Après tout cela, l’idée du revenu de base fait désormais partie de notre imaginaire collectif et des solutions possibles pour mettre à jour notre système de protection sociale, à l’heure où le financement de l’AVS devient problématique et où les personnes inscrites au chômage et à l’aide sociale augmentent.

Certains opposants voudraient que cette votation enterre le RBI. On peut se dire à les écouter qu’ils n’ont peut-être pas grande conviction politique ou vision à long terme si leur seule ligne de mire est l’horizon électoraliste à court terme. Comme le disait hier Guy-Olivier Segond, ex conseiller d’Etat PLR : les politiques sont aujourd’hui des gestionnaires et ils ne savent plus être des forces de proposition pour l’avenir. On peut aussi rajouter qu’ils ont bien mauvaise mémoire quant à l’histoire des progrès sociaux en Suisse et dans le monde en enterrant si vite le RBI. L’AVS a demandé 3 votations, le congé-maternité a mis 50 ans avant d’être appliqué et le vote des femmes a dû être voté 3 fois avant d’être accepté par ces messieurs qui craignaient que l’économie ne s’effondrent.

Le mouvement suisse pour le RBI est bien vivant, il a grandi énormément au cours des trois dernières années, il ne va pas s’arrêter. Les actions citoyennes et de lobbying vont continuer. La Municipalité de Lausanne a accepté un postulat pour l’expérimentation d’un RBI, un des enjeux sera que d’autres municipalités ou cantons lancent également des expérimentations!