Mise en œuvre du RBI, mesures transitoires

Cet article fait partie d’une série d’analyses de modèles de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI) applicables pour la Suisse. Les modèles analysés ici ont tous pour caractéristique principale de viser le financement global du RBI à l’aide de mécanismes simples, mais politiquement innovants.
D’autres modèles existent qui cherchent à construire des financements du RBI qui seraient certes plus complexes, mais qui seraient aussi plus facilement réalisables dans le cadre des processus parlementaires actuels. Ces modèles de financement ne sont pas analysés dans cette série d’articles, sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.
Des modèles de RBI ont été élaborés sur la base d’une réforme des mécanismes de création de la monnaie. Ces modèles ne sont pas non plus analysés dans cette série d’articles, également sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.

Quel que soit le modèle de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI) qui sera choisi, un certain nombre de problèmes se poseront lors de sa mise en œuvre. Une transformation du système de sécurité sociale aussi importante que celle-ci nécessitera un effort logistique très important que l’on pourrait comparer par son ampleur à celui qui a été requis pour les pays de la zone euro lors de l’abandon de leurs monnaies nationales.

Entre le moment où la loi sur le RBI aura été acceptée par le parlement, qu’un très probable référendum aura été accepté par le peuple et son application effective, il faudra prévoir un délai de préparation d’un à deux ans pour que les procédures administratives des collectivités publiques et des entreprises puissent être adaptées. Ce délai sera également mis à profit pour modifier et mettre à jour tous les logiciels de comptabilités concernés.
Outre la planification des transformations des pratiques administratives, il faudra décider si la transition vers le RBI se fera d’un coup et complètement à une date bien précise ou progressivement en l’espace de quelques mois ou de quelques années.

Transition complète en une seule étape
Basculer d’un coup entre le système de protection sociale actuel et le RBI requiert une importante préparation pour assurer que la transition se fasse sans heurts. Le délai de carence entre l’application de la loi et le basculement effectif devra être mis à profit pour s’assurer que les canaux de prélèvement des montants du RBI et ceux de sa distribution soient en place et opérationnels. En effet, si des problèmes apparaissaient lors de la transition, il pourrait en résulter de sérieux désagréments pour les personnes qui subiraient ces dysfonctionnements de mise en œuvre.
Selon le modèle de financement qui sera choisi, les ajustements dynamiques qui y seront liés déploieront leurs effets à plein et simultanément. Il faudra également avoir analysé à l’avance ces effets et préparé des mesures adéquates pour en maitriser les éventuelles conséquences négatives.

Transition progressive
En optant pour une mise en œuvre progressive, il serait possible d’étaler les effets dynamiques dans le temps et de réduire leur intensité. Il serait également possible d’améliorer le modèle durant sa mise en œuvre s’il s’avérait que ce modèle comportait certains vices cachés. Par contre, cette souplesse de mise en œuvre pourrait égaler constituer un obstacle majeur à la réalisation du RBI.
En effet, le défaut principal d’une transition progressive est que le processus peut être gelé à tout moment, sous le simple prétexte que la perception du financement ne suit pas ou que les conditions économiques ne le permettraient pas, etc.. Les opportunités pour mettre des bâtons dans les roues du financement sont nombreuses: recours, oppositions, lenteurs administratives et/ou parlementaires, etc..

Échelonnement du financement
Une transition progressive vers le RBI ne peut se justifier que par des contraintes sur la mise en place de son financement. En effet, si le financement peut être mis en place en une seule étape, il n’y a pas lieu de différer la redistribution. Certains modèles de financement se prêteraient-ils mieux à une mise en œuvre progressive? Différents cas sont analysés ci-dessous.
1) Assurances sociales (AVS): Le taux de cotisation AVS est augmenté linéairement pour passer du taux actuel à celui qui aura été défini comme nécessaire pour assurer un financement complet du RBI.
2) Impôt spécifique: Le taux de l’impôt spécifique est augmenté linéairement pour atteindre à terme celui qui aura été défini comme nécessaire pour assurer un financement complet du RBI.
3) Valeur Ajoutée Nette (VAN) des entreprises: Le taux de l’impôt sur la VAN des entreprises est augmenté linéairement pour passer du taux actuel à celui qui aura été défini comme nécessaire pour assurer un financement complet du RBI. Lors de l’introduction, les montants qui étaient prélevés pour les cotisations AVS sont transférés au RBI et sont considérés comme le taux initial de l’impôt sur la VAN auquel est ajouté le taux correspondant à la première étape de l’échelonnement.
4) Taxe sur les transactions financières électroniques (TTFE): Le taux de la TTFE est augmenté linéairement pour atteindre à terme celui qui aura été défini comme nécessaire pour assurer un financement complet du RBI. Si la TTFE choisie est également destinée à remplacer la fiscalité classique, le taux sera calculé de telle sorte que le financement des collectivités publiques soit complètement assuré dans les mêmes délais que le RBI. Dans ce cas également les taux des impôts et taxes classiques sont réduits dans les proportions nécessaires pour que le financement des collectivités publiques reste constant.
Le nombre d’années requis pour atteindre le plein financement sera le résultat d’un choix politique et économique. Il serait toutefois judicieux qu’il ne dépasse pas cinq ans. Notons toutefois que pour tous ces modèles, aucune contrainte technique ne s’oppose à l’application immédiate du taux plein.

Échelonnement des prestations
Avec un financement qui se met en place progressivement, il convient aussi d’échelonner la redistribution. Cela peut se faire soit en augmentant progressivement le montant du RBI depuis un montant initial réduit, soit en attribuant un RBI complet en priorité à certaines catégories de la population.
Comme le RBI est appelé à remplacer tout ou partie d’autres prestations sociales, l’administration de ces dernières devra être maintenu durant une grande partie de la transition, différant ainsi d’autant la simplification attendue par l’introduction du RBI et la complexifiant même pour la durée de la transition. On pourrait quelque peu relativiser cette affirmation, car au fur et à mesure de l’augmentation du montant distribué, certaines prestations inférieures au montant du RBI alors distribué pourraient être supprimées. Ceci est toutefois illusoire, car les personnes à très faibles revenus issus d’activités lucratives sont souvent bénéficiaires de plusieurs aides simultanément et le remplacement progressif au cas par cas de ces aides par le RBI deviendrait très vite ingérable.
Il serait probablement plus simple et aussi plus efficace en termes de lutte contre la pauvreté d’attribuer un RBI plein en priorité aux catégories de la population qui en ont le plus besoin, puis progressivement à l’ensemble de la population. L’ordre d’attribution pourrait être celui-ci:
1) Toutes les rentes AVS sont converties en RBI.
2) Adultes au bénéfice de l’aide sociale.
3) Adultes enregistrées à l’AVS comme sans activité lucrative.
4) Tous les autres adultes en fonction de leur revenu imposable. Les revenus les plus faibles seront servis en premier.
5) Les mineurs.
En fonction des montants disponible lors de la première tranche de financement du RBI, l’introduction pourrait se faire simultanément pour les catégories 1 et 2.

Cas des retraités AVS vivant à l’étranger
Il y a un consensus au sein des promoteurs du RBI que seuls les résidents sur le territoire suisse pourraient bénéficier du RBI. Les nouveaux arrivants devraient subir un délai de carence avant de pouvoir en bénéficier, afin d’éviter un mouvement d’immigration de personnes qui viendraient en Suisse uniquement dans le but de toucher le RBI. Toutefois, l’accord de libre circulation des personnes conclu avec l’Union européenne interdit de traiter différemment les travailleurs issus de l’UE et les travailleurs suisses. Il n’est donc pas possible d’appliquer un délai de carence aux travailleurs en provenance de l’UE. Par souci de cohérence, on pourrait envisager d’appliquer la même clause aux travailleurs en provenance du reste du monde. Par contre, le délai de carence peut être appliqué sur le caractère inconditionnel du RBI. Si un travailleur étranger cesse de travailler durant le délai de carence, il perdrait son droit au Revenu de Base.
Il est aussi admis qu’un résident suisse bénéficiant du RBI perdrait son droit à en bénéficier s’il partait s’installer à l’étranger. Cette dernière restriction est légitime dans la mesure où le financement du RBI pour les résidents suisses est entièrement assuré par la richesse produite en Suisse.
D’autre part, il est actuellement possible pour un retraité AVS de bénéficier de sa rente même s’il vit à l’étranger, ce qui est de plus en plus souvent envisagé par les actuels et futurs retraités suisses. Or, avec le remplacement de l’AVS par le RBI, cette possibilité disparaitrait. Il peut être considéré comme une injustice de retirer le droit de jouir de son AVS à l’étranger à des personnes qui ont cotisé toute leur vie dans cette perspective.
Comment pourrait-on réconcilier ces deux situations apparemment contradictoires? Je préconise d’utiliser la même règle que celle qui s’applique actuellement pour l’obtention du droit à une rente AVS complète. En effet, si une personne n’a pas cotisé durant 45 ans pour les hommes et 44 ans pour les femmes, son droit à la rente est réduit proportionnellement au nombre d’années non cotisées [1]. Ainsi, on pourrait considérer un droit de bénéficier du RBI en étant établi à l’étranger durant un nombre d’années égal au nombre d’années de cotisation à l’AVS avant le passage au RBI. Les personnes ayant déjà cotisé, lors de ce passage, durant un nombre d’années suffisant pour toucher une rente AVS complète, auraient le droit de bénéficier du RBI à l’étranger jusqu’à la fin de leur vie.
Le RBI n’étant appelé à remplacer que le premier pilier du système de retraites suisse, les rentes des 2e et 3e piliers ne seraient pas concernées par cette restriction pour les personnes décidant de s’installer à l’étranger après avoir atteint l’âge officiel de la retraite.

Références:
1. «AVS | Les Prestations», Office fédéral des assurances sociales (OFAS)