Financement du RBI par les recettes des taxes incitatives

Cet article fait partie d’une série d’analyses de modèles de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI) applicables pour la Suisse. Les modèles analysés ici ont tous pour caractéristique principale de viser le financement global du RBI à l’aide de mécanismes simples, mais politiquement innovants.
D’autres modèles existent qui cherchent à construire des financements du RBI qui seraient certes plus complexes, mais qui seraient aussi plus facilement réalisables dans le cadre des processus parlementaires actuels. Ces modèles de financement ne sont pas analysés dans cette série d’articles, sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.
Des modèles de RBI ont été élaborés sur la base d’une réforme des mécanismes de création de la monnaie. Ces modèles ne sont pas non plus analysés dans cette série d’articles, également sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.

Il est parfois proposé d’utiliser les recettes issues des taxes incitatives pour financer le RBI. Certaines d’entre elles comme la taxe sur le CO2 sont déjà partiellement redistribuées à la population par l’intermédiaire des caisses maladie, soit 62,40 CHF par personne en 2016. Hormis son montant extrêmement réduit, cette redistribution peut déjà être considérée comme un revenu inconditionnel. Il ne lui manque que d’être augmenté à un montant suffisant pour pouvoir être qualifié de Revenu de Base Inconditionnel.

Le montant total des revenus de la taxe sur le CO2 est supérieur à 800 millions CHF [1]. Deux tiers de cette somme sont redistribués à la population et aux entreprises. En 2015, 236 millions CHF ont été versés aux entreprises. On peut donc évaluer la part pour la population à 800 000 000 * 0,67 – 236 000 000 = ~300 millions CHF.

Pour financer entièrement le RBI avec la taxe sur le CO2, il faudrait multiplier la part redistribuée par plus de 650 ! C’est totalement irréaliste. On pourrait envisager de mettre également à contribution les taxes sur l’alcool et le tabac. Mais même en augmentant considérablement les taux de ces taxes, il serait difficile de collecter des recettes suffisantes.

De plus, à des montants aussi élevés, le caractère incitatif de ces taxes développerait tout son potentiel (potentiellement en favorisant le marché noir) et détruirait immédiatement le commerce de ces marchandises, ce qui aurait pour conséquence de réduire à zéro le produit de ces taxes. Du point de vue de la santé publique, ce serait extrêmement positif, mais le financement du RBI ne serait pas assuré.

AVANTAGES:
+ Un revenu inconditionnel existe déjà par la redistribution de la taxe sur le CO2.

DÉSAVANTAGES:
– Montant des taxes exorbitant, tuant immédiatement le marché et réduisant à néant le produit de ces taxes.

En conclusion, il n’est pas réaliste de vouloir financer entièrement le RBI par les taxes incitatives. Même en complément d’autres éléments de financement du RBI, les recettes de ces taxes ne pourraient contribuer qu’anecdotiquement à ce financement. La redistribution actuelle n’est que de la poudre aux yeux. Il vaut mieux consacrer les recettes des taxes incitatives à leur objectif premier, soit aider à la reconversion des secteurs économiques concernés.

Au-delà de l’impossibilité de financer entièrement le RBI par les taxes incitatives, il y a toutefois une question intéressante à analyser concernant le RBI et les taxes incitatives dans le cas où le RBI serait financé par une TTFE complète incluant le remplacement total de la fiscalité actuelle. En effet, les taxes incitatives n’ont pas pour but, en principe, de renflouer les caisses de l’état, mais d’inciter, comme leur nom l’indique, les consommateurs à changer de comportement. Or si la TTFE remplace tous les impôts et taxes diverses par un mécanisme unique d’une grande simplicité, il serait logique de supprimer également les taxes incitatives. Dans ces conditions, comment pourrait-on maintenir la pression incitative que ces taxes étaient censées exercer? On peut entrevoir entrevoir deux pistes:

  1.  Créer une exception au principe de suppression de tous les impôts et taxes en maintenant les taxes incitatives. En plus de l’incitation directe sur le portemonnaie des consommateurs, la charge administrative qui subsisterait pour les entreprises concernées pourrait les inciter à se désengager des secteurs industriels concernés et à se reconvertir vers des solutions alternatives.
  2. Renoncer définitivement au principe des taxes incitatives et s’attaquer au fond du problème que ces taxes étaient censées mitiger. Au lieu de pénaliser les consommateurs de combustibles fossiles, il serait beaucoup plus efficace, par exemple, de fixer dans une loi une limite à l’importation de produits pétroliers, limite qui serait réduite de X % chaque année.

Références:
1. «Redistribution de la taxe sur le CO2», Office fédéral de l’environnement