Financement du RBI par les assurances sociales (AVS)

Cet article fait partie d’une série d’analyses de modèles de financement du Revenu de Base Inconditionnel (RBI) applicables pour la Suisse. Les modèles analysés ici ont tous pour caractéristique principale de viser le financement global du RBI à l’aide de mécanismes simples, mais politiquement innovants.
D’autres modèles existent qui cherchent à construire des financements du RBI qui seraient certes plus complexes, mais qui seraient aussi plus facilement réalisables dans le cadre des processus parlementaires actuels. Ces modèles de financement ne sont pas analysés dans cette série d’articles, sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.
Des modèles de RBI ont été élaborés sur la base d’une réforme des mécanismes de création de la monnaie. Ces modèles ne sont pas non plus analysés dans cette série d’articles, également sans préjuger de leurs qualités intrinsèques.

L’AVS constitue déjà un Revenu de Base dont l’inconditionnalité est limitée aux personnes âgées de plus de 65 ans. Il serait tout à fait possible de retirer cette unique condition et d’allouer la rente maximale de 2350 CHF à toutes les personnes résidant en permanence en Suisse. Bien évidemment, il faudrait relever fortement le taux de cotisation. Étant donné que les cotisations actuelles pour l’AVS se montent à 8,4 % des revenus bruts (4,2 % pour les salariés, et 4,2 % pour les employeurs, 8,4 % pour les indépendants) et produisent environ 40 milliards CHF, il faudrait multiplier le taux de cotisation par 5 pour réunir les 200 milliards requis, soit environ 21 % du revenu brut pour les salariés, 21 % pour les employeurs, 42 % pour les indépendants.
Actuellement, une cotisation minimale est demandée aux personnes sans revenu. D’autre part, une personne bénéficiant d’une rente AVS ne paie de cotisation que sur ses revenus accessoires. Maintenir une prime minimale après la transformation en RBI reviendrait à prélever une cotisation sur le RBI des personnes sans revenu accessoire, ce qui est un non-sens. La cotisation minimale serait donc simplement supprimée.
Il faut aussi noter que cette augmentation des cotisations AVS représente non seulement une baisse du revenu classique pour les salariés et les indépendants, mais il représente un cout supplémentaire considérable pour les entreprises. Ces dernières chercheront naturellement à compenser cette augmentation de cout. Cette compensation pourrait prendre la forme d’augmentations des prix de leurs produits, par des baisses de salaire ou pire encore, par des délocalisations.

Voyons l’impact sur la grille salariale avec quelques graphiques. On commence par corriger le graphique introduit lors d’un article précédent en retranchant au revenu classique brut la cotisation AVS de 4,2 %:

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La droite oblique bleue représente le revenu brut classique auquel on a retranché la cotisation AVS de 4,2 % actuellement payée par les salariés. La droite verticale noire indique le salaire médian en Suisse en 2014. Ces droites vont servir de référence pour la suite de l’analyse.

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La surface orange représente la part du pouvoir d’achat apporté par le RBI dans le cas où serait ponctionnée une cotisation de 21 % sur le revenu brut. La ligne orange indique le revenu total. On constate en comparant la ligne bleue et la ligne orange qu’elles devraient se croiser au-delà du graphique vers un revenu brut d’environ 15000 CHF. Ce point de croisement (point d’inflexion) représente la limite en dessus de laquelle les personnes ayant ces revenus ne sont plus des bénéficiaires du RBI, mais deviennent des contributeurs nets. Il serait intéressant de savoir quelle proportion de la population deviendrait des contributeurs nets, ce que ce graphique ne permet pas de déterminer. On peut toutefois l’estimer comme étant bien inférieur à 20 % des salariés. Le cas des indépendants est analysé plus loin dans cet article.

Dans cette configuration, la moitié de l’effort financier est supporté par les entreprises. Afin d’éviter que ces dernières n’appliquent des mesures de compensation qui seraient difficiles à évaluer et pourraient entrainer des effets secondaires négatifs, on pourrait faire le choix politique de ne pas imposer d’effort supplémentaire aux entreprises et de limiter le taux de cotisation des entreprises à 4,2 %. Il en résulterait pour les salariés un taux de (2 * 21 %) – 4,2 % = 37,8 %.

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Dans ce cas, le point d’inflexion se trouve aux environs de 7300 CHF, ce qui signifie que les salariés gagnant moins de 7300 CHF brut par mois profiteront du RBI. Par manque de données sur la répartition des salaires, il m’est impossible de déterminer la proportion des bénéficiaires, mais elle est largement au-dessus des 50 %.
En poussant la logique à son extrême, on pourrait supprimer totalement la part de cotisation des employeurs et faire reposer entièrement l’effort de financement du RBI sur les salariés. Certains objecteront qu’il s’agit là d’un cadeau aux entreprises. Certes, mais ce n’est pas la question. Ce n’est ici qu’une hypothèse de travail. Notons également que ce cas correspond exactement à la situation des indépendants.

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Dans ce cas extrême, le point d’inflexion se trouve aux environs de 6500 CHF, c’est à dire toujours au-dessus de la médiane des salaires. Ce qui implique que même dans cette situation où la totalité du financement du RBI serait assurée par des cotisations AVS multipliées par 5, ce RBI serait profitable à plus de la moitié des personnes exerçant une activité lucrative.

En maintenant la part des entreprises à 4,2 %, voire en la supprimant totalement, il ne devrait en résulter aucun effet négatif pour l’économie.

Comme il a été mentionné dans les observations préliminaires, la stabilité de ce modèle de financement pourrait être compromise en cas de diminution importante du taux d’activité de la population. Il faut toutefois noter que dans de telles circonstances, le système actuel de protection sociale ne serait pas mieux armé pour y faire face.

Le modèle du financement par la reconversion de l’AVS en un RBI est probablement celle qui demande le moins de transformations de l’infrastructure sociale et fiscale de la Suisse. En effet, toute la structure administrative est déjà en place, seuls le nombre de personnes au bénéfice d’une rente et le montant des cotisations collectées changeraient. La surcharge administrative serait minime, voire négligeable.

L’introduction d’un RBI permet d’éviter de couteuses dépenses en termes de prestations complémentaires de la part des collectivités publiques, en termes d’assurance chômage et de perte de gain pour la part couvrant le montant du RBI (qui ne peut être perdu et ne doit ainsi pas être assuré), etc. Dans ce modèle de financement du RBI, les rentes AVS ne sont pas prises en compte dans ces économies potentielles, car elles sont par définition déjà réattribuées au RBI. Le montant de ces économies peut être estimé à environ 20 milliards, soit environ 10 % du montant total du RBI. Bien que non négligeable, il n’en a pas été tenu compte dans cette analyse pour les raisons suivantes:
– Les approximations effectuées dans cette analyse étant assez importantes, l’inclusion de ces réductions, elles aussi très approximatives, n’améliorerait pas vraiment la précision des résultats du calcul. Si elles avaient été prises en compte, elles auraient permis de légèrement diminuer le taux de cotisation, déplaçant le point d’inflexion vers des revenus plus élevés, mais probablement pas de manière significative.
– Détourner ces économies vers le financement du RBI compliquerait considérablement la gestion administrative du RBI. Il semble préférable de les ignorer et de considérer qu’il s’agit d’économies pour les collectivités publiques qui peuvent être soit réaffectées à d’autres tâches soit à réduire les charges fiscales correspondantes. Admettons simplement qu’il s’agit d’un bienfait collatéral.

AVANTAGES:
+ Administration du RBI déjà en place, car héritée de l’AVS.
+ En plus des personnes sans revenus, plus de 50 % des personnes exerçant une activité lucrative verraient leur revenu augmenter lors de l’introduction du RBI, même dans un cas extrême qui verrait baisser les charges sur les entreprises.
+ Réduction ou même élimination de l’inégalité de traitement entre salariés et indépendants.

DÉSAVANTAGES:
– Impact psychologique négatif sur les salariés qui verraient une multiplication par 5, voire par 10, de leurs cotisations AVS.
– Suivant l’option retenue, risque d’impact profond sur les entreprises pouvant entrainer des hausses de prix, des réductions de salaire et même des délocalisations.
– Risque de rejet par une partie le la Gauche dans le cas extrême du «cadeau aux entreprises» que constituerait la suppression de la part patronale.
– Sensibilité au taux d’activité de la population.
– Les revenus qui ne sont actuellement pas soumis à l’AVS, tels que les revenus en provenance des marchés financiers resteraient exclus du financement du RBI. Réflexion faite, une minorité verrait plutôt cet argument comme un avantage.

Références:
«Enquête suisse sur le niveau et la structure des salaires 2014», Statistique suisse